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jeudi 12 novembre 2015

Encore et toujours la dette - Les Echos 11/10


/ Editorialiste | Le 10/11 à 01:00

Impossible de comprendre ce qui se passe dans l'économie mondiale sans regarder les chiffres de l'explosion de la dette. Ce fut le coeur de la crise. C'est aussi là que se joue notre capacité à retrouver vraiment la croissance.


de Jean-Marc Vittori

La dette est aujourd'hui devenue la clef de l'économie mondiale. La langueur de la reprise française et européenne, malgré des vents porteurs puissants ? La faute à la dette. Les hésitations de la Fed, la banque centrale des Etats-Unis, à relever son taux d'intérêt alors que la croissance américaine semble solidement installée sur une pente à plus de 2 % ? Encore la dette. L'inquiétude sur la Chine, le Brésil, la Turquie ? Toujours la dette. Jamais sans doute la danse à laquelle se livrent prêteurs et emprunteurs n'aura joué un tel rôle dans l'économie mondiale. La dette reste pourtant méconnue. Seul son versant public a fait une percée de notoriété avec l'aide de la Grèce. Ce qui se joue du côté des entreprises et des particuliers est pourtant au moins aussi important.
Pour éclairer le sujet, les économistes de RBS (Royal Bank of Scotland) ont bâti un graphique tout simple, avec les chiffres de la dette totale en milliards de dollars depuis un demi-siècle. Ils l'ont trouvé tellement convaincant qu'ils l'ont publié à maintes reprises ! Aux Etats-Unis, cette dette dépasse le seuil de 20.000 milliards de dollars en 1997 et de 50.000 milliards en 2009. Une ascension vertigineuse avant la crise financière qui la fait reculer de 1.000 milliards, mais elle repart ensuite de plus belle pour approcher aujourd'hui 60.000 milliards. L'Europe connaît aussi une formidable envolée au tournant du siècle, avec des encours qui doublent, de 20.000 milliards en 2000 à 40.000 milliards huit ans plus tard. Mais, ensuite, ils plafonnent pendant plusieurs années avant de décliner. La Chine, elle, connaît une progression modérée jusqu'à la crise. Sa dette totale franchit les 10.000 milliards en 2009. Mais c'est ensuite l'explosion pour frôler aujourd'hui 30.000 milliards. Les autres pays émergents ont aussi connu une vigoureuse accélération après le pic de la crise financière.

Trois ruptures


Derrière ces courbes, il y a les grandes lignes de force de l'économie mondiale de ces dernières décennies. D'abord, l'essor de la finance à partir des années 1980, engendré par une vague de déréglementations puis une vague d'innovations. Ensuite, l'accélération de la mondialisation, provoquée par l'ouverture de la Chine, la chute du rideau de fer et la révolution technologique qui fait voyager l'information très vite pour très peu cher. L'argent circule comme jamais sur la planète. Trois ruptures accentuent le mouvement. En 1997-1998, la crise asiatique et les erreurs du FMI convainquent les dirigeants de nombreux pays émergents, Chine en tête, de la nécessité d'accumuler des excédents commerciaux massifs pour se protéger des intrusions extérieures. Ces excédents seront recyclés en prêts aux pays avancés. En 2000, la bulle des actions Internet éclate, ce qui pousse la Fed à garder ses taux d'intérêt à très bas niveau jusqu'en 2004. La troisième rupture s'inscrit dans le temps long. Contrairement à ce qui s'est passé dans les décennies d'après-guerre, les revenus stagnent pour une large partie de la population dans de nombreux pays. Les consommateurs ont donc emprunté pour acheter davantage. Les économistes débattent d'un éventuel ralentissement de la productivité qui pourrait expliquer une partie de cette stagnation, le reste venant d'une montée des inégalités.
Bref, tout s'est mis en place pour impulser un cycle de crédit sans précédent dans l'histoire. L'Amérique a lancé le mouvement, qui a abouti au délire du « subprime » (prêts immobiliers à des foyers non solvables) et à la faillite retentissante de la banque Lehman Brothers. Après l'explosion, les banques ont pris leurs pertes (beaucoup de petites ont fermé) et les autorités ont donné la priorité absolue au redémarrage du crédit. Objectif atteint : le crédit a grimpé vers de nouveaux sommets, et l'activité est repartie.
L'Europe a suivi, avec son accélérateur à elle. Dans la jeune zone euro, on s'est raconté qu'on pouvait désormais se prêter les uns aux autres sans souci. L'Allemagne a fait bondir son excédent commercial, ses capitaux sont partis en Espagne ou en Grèce avec le succès que l'on sait. La tragédie grecque qui a commencé fin 2009, un an après le séisme Lehman, a cassé le mouvement. La banque centrale a fortement baissé ses taux d'intérêt. Mais les banques européennes ont moins fait le ménage que leurs consoeurs américaines (elles ont encore plus de 1.000 milliards d'euros de prêts douteux) et les Etats ont réduit leurs déficits à marche forcée. La crise a été plus longue, et le crédit commence à peine à repartir.

Sueurs froides


L'argent ne rapportant presque plus rien dans les pays avancés, les investisseurs ont exploré les pays émergents. Ils ont trouvé des cibles faciles : en pleine conquête du monde, les grandes entreprises de ces pays empruntaient à tour de bras. Le crédit est parti en flèche. D'autant plus que certains gouvernements l'ont dopé pour soutenir l'activité et compenser la consommation déprimée des pays avancés. En Chine, la dette des entreprises ferait désormais plus de 200 % du PIB. Près de trois fois le taux d'endettement des firmes américaines, et la moitié de cette dette serait logée dans des entreprises publiques peu rentables ! On comprend que certains aient des sueurs froides.
Résultat ? Un monde boursouflé de dettes. Un monde où la croissance ne suffira pas à dégager l'argent pour les servir, où l'inflation est trop faible pour les effacer, où relever les taux d'intérêt revient à jouer avec une boîte d'allumettes dans une poudrière. La « décennie perdue » de l'Amérique latine dans les années 1980 l'a montré : tant que la question de la dette n'a pas de réponse, tant que les créanciers n'acceptent pas l'amère réalité en prenant leurs pertes, une vraie croissance relève de l'espoir vain.
Jean-Marc Vittori

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